Meursault, contre-enquête, Kamel Daoud


Meursault, contre-enquêteRésumé : Le narrateur, Haroun, est aujourd’hui un vieil homme qui souvent ressasse devant son verre un passé vécu à son corps défendant. Jamais il n’a pu se défaire ni du fantôme de son frère qu’il a très peu connu ni de la tyrannie castratrice d’une M’ma toujours en vie.  Haroun n’avait que sept ans le jour où Meursault tua de cinq balles son frère Moussa, l’Arabe de  l'Etranger. L’acte de vengeance qu’il commettra vingt ans plus tard, aux premiers jours de l’indépendance en 1962, il le considère à posteriori comme une évidence, comme une catharsis nécessaire non pas tant pour lui-même mais pour sa M’ma…

L'écrivain établit d'emblée un parallèle entre le deuil de Camus "Aujourd'hui, ma mère est morte." et le sien, celui de son frère. Le cheminement du deuil est stoppé par l'amertume face au colon. Le reproche est toujours le même : le constat de n'avoir pas droit à l'Humanité. Son frère, dans l'anonymat, en plus d'avoir perdu la vie, a perdu jusqu'à son existence. Sans prénom, sans famille, il est somme toute un dommage collatéral de la colonisation. 
Plus qu'une enquête policière, il s'agit d'une réhabilitation suite à l'injustice : l'assassin a eu son roman, pas la victime oubliée de tous. Une quête de sens, une volonté de comprendre ce geste gratuit : on ne sait pas trop s'il s'agit d'une métaphore du suicide de Meursault, d'une insolation, d'un crime passionnel ? Le parallèle avec l'Etranger se poursuit dans la deuxième partie suite à l'arrestation. Outre l'attente, l'absurde est souligné puisqu'on reproche au personnage principal non pas le crime en lui-même mais le mauvais timing de celui-ci, à 2h du matin, le jour de l'Indépendance. Il aurait fallu tuer le blanc un peu plus tard dans la journée...
 
Quatrième de couverture : Il est le frère de "l'Arabe" tué par un certain Meursault dont le crime est relaté dans un célèbre roman du XXème siècle. Soixante-dix ans après les faits, Haroun, qui depuis l'enfance a vécu dans l'ombre et le souvenir de l'absent, ne se résigne pas à laisser celui-ci dans l'anonymat : il redonne un nom et une histoire à Moussa, mort par hasard sur une plage trop ensoleillée.
Haroun est un vieil homme tourmenté par la frustration. Soir après soir, dans un bar d'Oran, il rumine sa solitude, sa colère contre les hommes qui ont tant besoin d'un dieu, son désarroi face à un pays qui l'a déçu. Etranger parmi les siens, il voudrait mourir enfin...
Hommage en forme de contrepoint rendu à l'Etranger d'Albert Camus, Meursault contre-enquête joue vertigineusement des doubles et des faux-semblants pour évoquer la question de l'identité. En appliquant cette réflexion à l'Algérie contemporain, Kamel Daoud, connu pour ses articles polémiques, choisit cette fois la littérature pour traduire la complexité des héritages qui conditionnent le présent.
 
Afficher l'image d'origineMon avis : D'une profondeur rare, le roman de Kamel Daoud (Prix Goncourt) irradie une tristesse et une gravité pesantes. L'Étranger d'Albert Camus est l'oeuvre initiatrice, le substrat de Meursault Contre-Enquête ; un univers dont Daoud explore habilement chaque recoin et s'inspire. Pourtant, jamais le nom de Camus n'est cité. Le livre est attribué à Meursault, qui l'aurait écrit lui-même en sortant de prison. Comme s'il s'agissait d'un véritable fait divers, comme si la réalité rejoignait la fiction. D'une écriture simple, l'auteur nous offre le point de vue de l'autre, de "l'Arabe", et évoque le thème de l'indifférence à l'égard de l'étranger. La compréhension du crime ne passe pas par la vengeance mais par le mimétisme avec un autre crime gratuit. Les personnages se substituent les uns aux autres, le protagoniste et son frère, tous les roumis, la plage/Mère patrie. On devrait tous lire un livre comme Meursault, contre-enquête. Pas seulement parce qu'il traite d'un sujet rabattu avec un point de neuf relativement neuf — notre vision de l'Indépendance de l'Algérie est souvent celle du Français, mais aussi pour éprouver une certaine sensibilité, retrouver le goût de la lecture pour les grands classiques de notre littérature.

Pour aller plus loin : Je vous propose pour ceux qui l'ont déjà lu, une deuxième lecture de l'Etranger d'Albert Camus en s'ouvrant à un autre point de vue, celui de la victime, peu évoquée lors de l'étude de ce grand classique de la littérature française.

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